Fabio Mauri (1926-2009), acteur du monde littéraire et proche de Pier Paolo Pasolini, Umberto Eco et Italo Calvino, incarne la figure de l'artiste-intellectuel dans l’Italie d’après-guerre. Il a développé, à Rome, tout au long de la seconde moitié du 20e siècle, un œuvre singulier, qui échappe aux classifications des mouvements artistiques qu’il côtoie (Nouveau Réalisme, « Spatialisme », Pop Art ou Arte Povera).
Familier du domaine de l’édition dès son enfance, son père important déjà, dans les années 1930, des « comics » américains en Italie, Mauri commence très tôt à manipuler des images issues des médias – qu’il s’agisse de « fumetti » ou de photographies de presse. Marqué par la guerre, il suit le glissement du fascisme à d’autres formes de conditionnement idéologique et comprend très vite ce que signifient les médias de masse dans la société des années 1950-1960.
En 1957, il commence la série des Schermi (Ecrans), où il représente sur la toile des écrans vides, ouverts aux projections possibles des visiteurs. Sa version du monochrome, recherche d’un absolu ou d’un « degré zéro » de la peinture qui intéresse de nombreux artistes de cette époque, est ainsi marquée par l’importance qu’il donne aux médias comme « matériaux » et formes symboliques.
S’interrogeant sur la mémoire collective et le refoulement politique du trauma de la guerre, Mauri explore aussi le langage et les outils de production de la fiction, au premier titre desquels figure le cinéma, qu’il considère comme une formidable structure de propagande.
Dans les années 1970, Mauri passe de la peinture à la performance. Il réalise ainsi Che cosa è il facismo à Rome en 1971 (Stabilimenti Safa Palatino), alors que les tensions politiques saisissent le pays et projette, en 1975, un film de Pasolini sur le corps même du cinéaste (Galleria d’Arte Moderna, Bologne).
Ces dernières années, la pratique de Fabio Mauri a fait l’objet d’une redécouverte internationale et, dans un contexte de résurgence de mouvements d’extrême-droite, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, son travail apparaît d’autant plus pertinent. Il nous rappelle combien notre société tente actuellement d’évacuer le poids de l’histoire et le rôle que jouent les médias dans la circulation de ces idéologies.
- Exposition organisée par Lionel Bovier, grâce au dépôt au musée d’œuvres de l’artiste par la Fondation Mattioli-Rossi