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Cette exposition prospective rassemble des œuvres issues de ce que nous avons pris l’habitude de nommer « l’Europe centrale », à savoir un ensemble de pays situés derrière le rideau de fer : Tchéquie, Hongrie, Pologne, Serbie et Croatie. Réalisées entre 1969 et 1979, en pleine guerre froide, ces œuvres témoignent des modalités de l’action artistique dans l’espace public. A l’instar de Mai 68 la fin des années 1960 est marquée, dans le monde entier, par une contestation des institutions. Dans les régimes communistes et socialistes, ce vent de protestation a dû faire face à des jeux complexes de tensions et de détentes. La Hongrie connaît une période de libéralisation économique et culturelle forte jusqu’en 1972. La Tchécoslovaquie est témoin d’une déstalinisation jusqu’au Printemps de Prague (1968). A l’inverse, la Pologne voit une période de libéralisation subitement freinée par la loi martiale du 13 décembre 1981. 

Les formes expérimentales de l’art en Europe centrale partagent des procédés similaires avec celles qui leur sont contemporaines en Occident. Mais le contexte des pays sous influence soviétique donne aux œuvres une toute autre signification. Les artistes présentés ici ont notamment recours au photomontage, au détournement ou au doublage pour subvertir la rhétorique de la propagande officielle (Orshi Drozdik, Ewa Partum, Tamás St. Auby, Tibor Hajas, Natalia LL ou Sanja Ivekovic). Certaines actions minimes et discrètes offrent peu d’informations à un enregistrement qui s’apparente à un contrôle (VALIE EXPORT). Dans un contexte de surveillance généralisée, dans la vie privée et comme dans l’espace public, les artistes conjuguent l’intime et le public de manière singulière. Tomislav Gotovac s’expose dans son intimité la plus crue, tandis que Sanja Ivekovic rend compte de ses sensations en observant depuis son balcon un défilé officiel. Katalin Ladik met en scène des gestes intimes comme un mode d’emploi public, quand Jiří Kovanda vise la furtivité : « je suis un scénario écrit précédemment à la lettre. Les gestes et les mouvements ont été sélectionnés pour que les passants ne soupçonnent pas qu'ils assistent à une "performance" » (Théâtre, novembre 1976, Place Venceslas, Prague). Dans des sociétés qui ont connu des appareils sécuritaires plus ou moins oppressants, les artistes ont dessiné des stratégies subtiles malmenant l’unité de l’information et exploré les multiples disjonctions de l’image, du texte et du son. 

En écho à la critique de l’autorité qui traverse la rétrospective de Tony Conrad, cette exposition poursuit la volonté d’internationalisation du programme du MAMCO, en proposant une approche de l’art et des formes qui ne se limite pas aux canons occidentaux. Les collections Verbund et Kontakt, toutes deux autrichiennes, permettent ici de saisir les spécificités historico-géographiques d’artistes qui ont conçu un espace d’action en prise avec le pouvoir, les institutions et le public. Dans sa récente étude, Amy Bryzgel (Manchester) est parvenue à éclairer l’histoire de ces scènes artistiques. Si le contexte est différent de celui de l’Ouest – l’absence de marché de l’art, l’absence d’un tissu institutionnel artistique et l’omnipotence de l’Etat –, elle en conclut néanmoins à l’existence d’une communauté d’artistes centre-européens, européens et américains ayant à cœur d’élaborer une critique institutionnelle par l’indexation des mécanismes autoritaires. Dès les années 1960, ces artistes au cœur de l’Europe dessinent une cartographie allant de la rue à l’intime en passant par la télévision. Il est notable que ces contemporains de Asher, Buren et Broodthaers, fassent cohabiter Etat et liberté individuelle dans des actions qui sont plus souvent indicielles qu’oppositionnelles.

  • Exposition organisée par Paul Bernard et Julien Fronsacq
  • Avec le soutien des collections Verbund et Kontakt, Vienne
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FONDATION MAMCOÉtat de GenèveVille de GenèveJTIFondation LeenaardsFondation genevoise de bienfaisance Valeria Rossi di Montelera
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