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Apparue dans les années 1980, l’œuvre de Julia Scher (*1954) se caractérise par son recours systématique aux outils de contrôle, notamment la vidéo-surveillance. A la faveur d’une formation technique, l’artiste a en effet acquis des connaissances précises sur les différents systèmes de surveillance – elle a même, à ce titre, longtemps travaillé pour une compagnie reconnue avant de fonder sa propre agence, Safe and Secure Productions. Sur un mode parodique, chacune de ses interventions plonge l’espace de l’exposition dans le régime du contrôle total et s’envisage ainsi à l’aune du trouble qu’elle induit sur le comportement des visiteurs, devenus malgré eux sujets observant et objets regardés. A la confluence du sentiment orwellien de l’omniscience du pouvoir et du désir voyeuriste et narcissique pour les enregistrements intimes et réflexifs, l’œuvre de Scher propose ainsi une analyse sarcastique de l’idéologie sécuritaire et de ses dangers. 

Invitée à intervenir au MAMCO, Scher accueille le visiteur en présentant une version actualisée de Girl Dogs (2005-2021) : deux statues en marbre représentant des dobermans. Symbole du chien de garde, réputé (à tort) pour son agressivité, le doberman est une race que l’on associe naturellement au maintien de l’ordre et à la férocité. Scher a cependant donné au visage et aux pattes de ces chiens quelques traits félins. Leur couleur rose (omniprésente dans l’œuvre de Scher) semble par ailleurs les rendre vulnérables et doux. Le message d’accueil qu’ils nous transmettent prend le timbre de ces voix sans auteurs et chaleureuses, caractéristiques des annonces publiques. 

Censée nous rassurer, la présence a priori bienveillante de ces molosses produit en réalité un certain malaise. Cette dimension psychosociale ambiguë de la surveillance constitue la matière première de Scher. On trouve encore, dans un angle supérieur de la salle, une caméra bien mal camouflée au milieu d’un bouquet de plumeaux fuchsia. Hidden Camera (Architectural Vagina) (1991-2018) reprend par ailleurs, comme son titre l’indique, les contours d’un vagin et rappelle la dimension féministe qui traverse l’œuvre de Scher. En usant d’un répertoire symbolique et formel traditionnellement associé au féminin pour enrober des dispositifs perçus autrement comme intrusifs et liberticides, l’artiste déconstruit, en la moquant, la rhétorique visuelle de l’inoffensif. 

Anna Indych écrivait déjà en 2002 : « Des années avant que la culture populaire nous apporte “Jennicam”, Big Brother et Le Truman Show, Julia Scher faisait de la surveillance une forme d’art. » Vingt ans plus tard en 2021, la télé-réalité semble une antiquité, cantonnée désormais aux heures tardives des chaînes câblées. Force est de constater cependant que nous vivons dans une époque de surveillance généralisée. D’un côté les réseaux sociaux et le développement des technologies n’ont cessé d’accroître la fascination pour la captation intégrale de nos existences. De l’autre les lanceurs d’alerte ont pu révéler les moyens ahurissants dont se dotent les agences de renseignement pour épier les vies privées. Avec beaucoup d’humour, Scher semble avoir perçu très tôt ces dynamiques du contrôle social à l’œuvre tant dans l’espace public que privé, questionnant le sacrifice des libertés individuelles au nom d’une exigence de protection. Comme elle l’écrit : « Il est évident que vivre dans l’ombre de ces dispositifs de sécurité en plein essor (tant dans l’espace public que privé) crée un sentiment constant de paranoïa et d’autocensure et se trouve largement responsable de l’érosion progressive de notre liberté. »

  • Exposition organisée par Paul Bernard et Lionel Bovier
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