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Marcia Hafif, peindre Rome en couleur.

L’Américaine Marcia Hafif (1929-2018) est l’une des artistes les mieux représentées dans la collection du Mamco, tout particulièrement pour sa période italienne, qui reste un pan moins connu de son travail.

En 1999, au MAMCO de Genève, s’ouvre une exposition de la période italienne de Marcia Hafif. Les séries montrées, méconnues jusqu’alors, avaient été réalisées par l’artiste américaine à Rome, où elle s’était installée en 1961, à l’âge de 32 ans. Rome, où Marcia Hafif vécut, peignit, parla et cuisina italien, où elle épousa, en secondes noces, un artiste local, où elle eut un enfant ; Rome, où elle lia des amitiés dans les cercles artistiques et intellectuels – dont Carla Accardi, qui vivait juste à côté de chez elle ; Rome, où elle suivit l’actualité politique de la turbulente Italie. Rome, donc, où elle demeura durant huit ans. Mais à ce rythme, autant dire toute une vie.


C’est aussi à Rome que Marcia Hafif développe et confirme une peinture initiée dans sa Californie natale. Car à l’Italie précède un chapitre américain : originaire de la ville de Pomona, où elle naît en 1929, Hafif opte pour des études en histoire de l’art. Une formation qu’elle complète par quelques cours privés de peinture, qui l’entraînent sur la voie de l’abstraction. La rencontre avec la scène artistique de Los Angeles, alors réunie autour de la légendaire Galerie Ferus, fut décisive. Divorcée d’un premier mariage, Hafif suit la piste de l’art à New York, pour un temps court, où elle découvre une vie artistique aussi bouillonnante qu’intimidante.

Assez pour la convaincre d’embarquer pour l’Italie, où elle se rend seule, en quête de peinture. Il ne s’agit alors non pas de la sienne, mais de celle de la Renaissance, dont elle a admiré des reproductions lors de ses études. Destination : Florence, via Naples et Rome. En chemin, elle tombe amoureuse de la capitale italienne. Dans son appartement romain, entourée de pinceaux et de pots de peinture, Hafif part à la recherche de la symétrie. Systématique, programmatique, elle travaille par séries, comme pour épuiser un répertoire formel avant de se consacrer au suivant, faisant ressortir « l’acte de peindre ». De ses premières compositions encore marquées par la forme du cercle, elle passe à des motifs dérivés du jeu, du vase, du portique, ou encore de la colline, dès 1965. Les formes, suggérées par une rondeur simple, étendues sur toute la largeur de la toile, pourraient rappeler des fragments de corps ou de paysage – Umberto Eco parlera simplement d’une peinture « ouverte ».


De Rome au monochrome

Peu à peu, Marcia Hafif étend les dimensions de ses toiles, toujours carrées. En réaction aux panneaux publicitaires qui bordent les routes italiennes, elle se laisse entraîner par la couleur : la juxtaposition de deux coloris, trois quelquefois, toujours très vifs, afin de créer des contrastes. Bleu et orange, rouge et bleu, jaune et vert. Elle introduit dans ses compositions une première forme « positive, de manière à en engendrer une autre par défaut, en équilibrant les formes et les couleurs pour qu’aucune ne prenne le pas sur l’autre », selon ses mots. De l’huile, elle passe à l’acrylique qui envahit alors le marché de l’art. En 1968, Marcia Hafif varie entre le pinceau et l’application de la peinture à l’aérosol, afin de créer de grands aplats de couleur « atmosphériques », dont se détachent des petits nuages variant en intensité. Elle qualifiera sa peinture de « concrète », plutôt qu’abstraite ou minimale, tant elle contient ses propres règles. Or, derrière la rigueur formelle de ces grandes formes arrondies dont l’utilisation de rubans adhésifs rend le contour parfaitement net, transparaît une inspiration pop – par la couleur –, ainsi qu’une touche profondément personnelle.

L’exposition au MAMCO en 1999 révélait cela autant qu’elle le rappelait, tant la période italienne s’était peu à peu effacée des mémoires. Non pas que l’artiste fût alors une inconnue. Mais on connaissait mieux la Marcia Hafif d’après Rome : celle qui, de retour en Californie, reprit des études d’art au Irwin College of Arts, à 40 ans. Celle qui se consacra un temps à la vidéo et à la photographie, puis au dessin, avant de reprendre la peinture à New York, au début des années 1970. Mais, surtout, on connaissait la Marcia Hafif du monochrome. Car c’est dans l’art de déployer une même couleur sur la toile qu’elle sera réellement reconnue. Elle rejoindra ainsi le « groupe » de la Radical Painting, avec Olivier Mosset, Joseph Marioni et d’autres qui, comme elle, se consacraient entièrement au monochrome.


À propos du monochrome, Hafif publie en 1978, dans la revue Artforum, l’essai « Beginning Again ». Bien qu’il se réfère à son retour à la peinture six ans plus tôt, le titre choisi offre également une grille de lecture lorsqu’il s’agit de sa propre vie. De fait, Hafif a vécu de nombreux recommencements jusqu’à sa disparition en 2018. Chacun fut l’occasion d’une redéfinition de sa pratique, poussant parfois la période précédente en arrière-plan : « En travaillant sur le monochrome à New York dans les années 1970, je ne me suis plus occupée de mes peintures italiennes », confie l’artiste en 2010. « Il y en a beaucoup que je n’ai plus revues jusqu’en 1997, où il y a eu une petite exposition d’œuvres d’une collection particulière à Rome. Peu après, j’ai expédié en France les tableaux qui m’appartenaient. » De là, Hafif prête les tableaux à différents musées, dont au MAMCO. L’exposition de 1999 est ainsi la première à réunir tant d’œuvres de cette période, et la collection du MAMCO, avec 35 peintures et 49 dessins, en garde la trace. Toutes ces œuvres sont des dons que l’artiste a faits au musée, un geste important si l’on prend en compte que sa période romaine est marquée par la production de 210 peintures, dont ne subsiste que la moitié, et de 250 dessins.

À la vue de ces tableaux, Maria Hafif dit avoir eu « des réactions très diverses devant ce qui ressemblait surtout à la relecture d’un ancien journal intime. Chaque tableau représentait pour moi une période précise, certains événements de ma vie, mais aussi une manière de penser la peinture, ma conception de la peinture à ce moment-là. » Chacune des œuvres est ainsi l’empreinte de ses expériences, la marque d’un lieu, d’un moment, d’un rythme de vie.


Depuis 1999, bien des présentations du travail de Marcia Hafif ont eu lieu, au MAMCO comme ailleurs. Mais celle de Genève a pour elle la saveur des redécouvertes, et marque le début d’une amitié entre l’artiste et le musée. Quatre expositions ont ainsi suivi cette première rencontre. Sur les toiles de Hafif, les bulles de couleur, qui semblent gonfler depuis le bas de la toile, ou au contraire couler depuis son bord supérieur, prennent le regardeur au dépourvu par leur équilibre. Parlant de la colline, un des motifs récurrents de la période romaine, Hafif dira encore : « C’est une forme compacte, archétypale, qui évoque la grotte, la maison, le logis, la sécurité, la solidité, la densité. » Et c’est bien cela que l’on ressent devant les peintures italiennes de Marcia Hafif : un sentiment de réconfort, d’accomplissement et de nouveaux départs.

  • Le Musée d’art moderne et contemporain de Genève (MAMCO) va vivre hors de ses murs, le temps, d’ici à 2028, que le bâtiment qui l'accueille soit rénové. En attendant sa mise aux normes énergétiques et l'installation du contrôle climatique, le MAMCO produira, à l’initiative de partenaires, des projets hors-site dans des lieux inédits. «Le Temps» est l'un des ces lieux.
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