N°6

La crise que nous traversons depuis l’émergence du virus Covid-19 et la nature des mesures prises par les gouvernements pour en combattre la circulation, ont profondément modifié le fonctionnement du MAMCO depuis le mois de mars. Non seulement nos programmes, mais également notre fonctionnement. Coupés, pendant plusieurs mois, de notre mission d’accueil et de formation des publics ; contraints, aujourd’hui encore, à d’incessants réaménagements de nos activités ; invités, par les changements sociétaux qui se profilent, à repenser nos modalités de travail, nous avons dû réorganiser nos priorités et mettre en place des mesures de réduction d’impact. D’abord, nous avons souhaité honorer nos engagements envers les artistes, nos équipes et nos partenaires ; aussi avons-nous reporté les projets 2020 en 2021 plutôt que de les annuler, prolongé la « rétrospective plurielle » consacrée à Olivier Mosset et soutenu les emplois de nos gardiens, guides et auxiliaires.

Ensuite, nous nous sommes concentrés sur des tâches liées à la collection du musée. Après en avoir terminé l’inventaire l’année passée, nous avons ainsi ouvert les chantiers de son récolement et de sa mise en ligne. Depuis le mois de juillet, la moitié de la collection est désormais disponible à la consultation sur notre site Internet et nous continuerons à ajouter des corpus d’œuvres au fil des mois. En début d’année prochaine, nous vous inviterons à redécouvrir cette collection, dans le cadre d’un « inventaire » physique auquel participent toutes les conservatrices et tous les conservateurs du musée – selon une méthodologie plurielle qui renvoie à la constitution de cet ensemble. Revenant sur des corpus peu montrés depuis leur entrée dans les collections ou, au contraire, sur des œuvres marquantes de l’expérience du musée, l’exposition sera articulée autour de présentations collectives et historiques, ponctuées par des salles monographiques.

Enfin, cette crise ne manquera pas d’infléchir nos réflexions sur le rôle que le musée est appelé à jouer dans la société. Car cette pandémie est aussi une mise à l’épreuve de nos dispositions au vivre- ensemble : nous pouvons d’ores et déjà constater que nous sommes entrés dans une nouvelle ère des relations humaines et des mécanismes politiques. Nous pouvons en ressentir de l’inquiétude : nous étonner que les médias soient toujours à l’unisson de la parole politique, redouter la fermeture de frontières qui ont pris tant d’années à s’ouvrir et nous alarmer lorsque des Etats proposent de coupler protection et surveillance. Nous pouvons raisonnablement craindre l’hiver sociétal qui s’annonce. 

Mais nous pouvons aussi espérer qu’au- delà de ces signes inquiétants, de nouvelles articulations de notre rapport à un monde qui s’était si rapidement globalisé se feront jour. En revenant, à l’automne prochain, sur la pratique esthétique et politique d’un artiste tel que Tony Conrad ou en invitant Julia Scher à réinstaller certains de ses dis- positifs des années 1980, le MAMCO entend restituer au public des jalons importants d’une pensée critique sur les systèmes de contrôle étatique et médiatique installés depuis des décennies au cœur de nos existences.

Mais, surtout, le MAMCO ne fera pas l’économie d’une réflexion fondamentale sur ses modes opératoires, sur la dialectique de l’international et du régional ou sur l’impact écologique de son travail. Nous travaillons à établir une charte de pratiques et d’objectifs visant à clarifier nos positions et nos responsabilités sur des questions aussi diverses que le développement durable, la rémunération des artistes ou l’accessibilité de notre offre programmatique.

Toute crise est aussi une cristallisation de problématiques dont les prémices remontent parfois à des périodes éloignées ; toute crise est aussi un potentiel de redéfinition des lignes de force qui sous-tendent nos pratiques ; toute crise est aussi une possibilité de se renforcer, en tant que structure, en tant que collectif et en tant qu’individus réunis autour d’un projet.

N°5


Comment raconter l’histoire de l’art du temps court qui nous sépare de l’après-guerre? Cette question est au cœur du système d’expositions que nous proposons, depuis 2017, aux visiteurs du musée. La réponse que nous avons élaborée passe par la construction de récits différents pour chaque cycle d’expositions et l’insistance sur une forme de syntaxe pour organiser ces présentations.

Si les années 2000 ont été marquées par de profonds questionnements du régime discursif du musée (contestation du « canon moderniste », émergence d’une histoire mondiale de l’art et développement d’une politique de l’expérience), nous ne souhaitons pas abandonner pour autant ce qui fait la spécificité d’un lieu tel que le MAMCO : contribuer à l’écriture d’une histoire qui ne serait soumise à d’autres logiques que celles des œuvres elles-mêmes. Et, alors que tant de lieux cèdent aux catégories thématiques et trans-historiques pour organiser la complexité des pratiques artistiques des dernières décennies, nous voulons au contraire défendre cette complexité – et proposer des articulations qui tiennent compte de leur historicité. Au lieu de subsumer sous de vagues regroupements des œuvres qui n’ont de cesse d’échapper à la simple communication de « quelque chose », nous construisons sans relâche des récits qui en soulignent les spécificités et situent leurs émergences. 

Au premier semestre 2020, ce récit passe par une rétrospective consacrée à Olivier Mosset, tant cette exposition offre également l’opportunité de balayer les cinq décennies que son travail traverse. Du Nouveau Réalisme des années 1950 aux formats monumentaux des années 2000, en passant par la déconstruction de la peinture qu’il opère avec Daniel Buren, Michel Parmentier et Niele Toroni dans les années 1960, au groupe d’artistes réunis autour du monochrome et de la « peinture radicale » qu’il fréquente dans les années 1970, au mouvement « Néo-Géo » des années 1980 dans lequel ses dialogues avec Steven Parrino, Sherrie Levine et Cady Noland l’apparente, et jusqu’aux collaborations avec John Armleder et Sylvie Fleury sous le titre de « AMF » dans les années 1990, suivre le développement du travail d’Olivier Mosset c’est aussi décrire les différentes scènes qu’il traverse, tant en Suisse qu’en France et aux Etats-Unis. Pour celui qui s’est plusieurs fois réclamé du mot de Cézanne sur la recherche de la « vérité en peinture », cette recherche passe d’abord par le « procès » de la peinture en tant qu’objet et signe d’un auteur, puis en tant que représentation « originale » et, finalement, en tant que pratique indexée sur un rapport au monde.

Et, alors que la séquence d’automne, à travers plusieurs expositions (dont celle de Tony Conrad), permettra d’interroger les relations de l’image avec une forme de contrôle sociétal, nous voulons cet été inventer un nouveau mode opératoire pour le musée : basé sur l’idée d’un rendez-vous annuel, comme pourrait l’offrir un magazine ou une biennale, il s’agit de proposer une rencontre avec plusieurs pratiques que rien ne relie, sinon l’intérêt que nous leur portons. Autour de ces artistes, des formats extensifs, en collaboration avec d’autres structures, viendront ponctuer le programme estival de rencontres, performances et expériences hors site. Une nouvelle manière de programmer l’été que nous souhaitons reformuler chaque année, en modulant les fonctionnements du musée (horaires d’ouverture, présence d’un bar, ouverture sur d’autres disciplines). Simplement baptisé « été 2020 », ce programme nous offre l’opportunité d’expérimenter la question du musée comme « fabrique d’expériences », de repenser la question de l’émergence, du soutien et de la collaboration avec des artistes sur une période qui dépasse celle de la simple « exposition ». Que cette méthode de travail survienne alors que nous planifions avec la Ville de Genève la rénovation du bâtiment qui abrite le MAMCO n’est bien entendu pas une coïncidence : il s’agit de préparer le futur en expérimentant, de dessiner les contours du musée lorsque celui-ci disposera du cadre et des moyens qu’il mérite. 



LE MAMCO TIENT À REMERCIER SES PARTENAIRES
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ghfk